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11 septembre 2017

Personnages #3

Trois Maîtresses, 2017 - Triptyque © Yannick Vallet (d'après Jean-Pierre Melville)

Films : Le samouraï, Le cercle rouge, Un flic

« Il n'y a pas de femmes dans mon film, je ne l'ai pas fait exprès, je ne suis pas misogyne, mais en écrivant le scénario, tout d'un coup, je me suis aperçu qu'il n'y avait pas de place pour les femmes. Alors il n'y en aura pas. »[1]

Et effectivement, dans Le cercle rouge il n'y a pas de grands rôles de femmes. Mais tout de même, celles qui apparaissent ont leur importance, à commencer par l'ex-petite amie de Corey (Anna Douking) que l'on aperçoit sur les trois petites photos noir et blanc qu'il récupère à sa levée d'écrou et que l'on découvre "en vrai" un peu plus tard, dans le lit de son ancien complice Rico. Une anonyme (jamais son prénom n'est prononcé, pas même écrit dans le scénario) qui a le mérite d'incarner à elle seule tout le passé de Corey. Sa vie intime, ses amitiés, ses trahisons …

Dans Le samouraï, Jeanne (Nathalie Delon), elle aussi la femme de deux hommes, n'a pas quitté Costello pour l'autre. Très amoureuse de Jef, elle doit subir le caractère très indépendant de son amant et semble lui être dévoué corps et âme. Dans la première scène où ils sont ensemble, Jef Costello vient lui dicter son alibi. Il ne restera chez elle pas plus de trente secondes et ne la touchera pas. C’est à peine d’ailleurs, s’il la regardera.
Quant aux adieux de la fin du film, ils sont, là aussi, plutôt rapides. Jef est pressé, il évite autant qu'il peut le rapprochement des corps mais ne pourra se soustraire lorsque Jeanne, posant une main volontaire sur son épaule lui demandera "Qu'est-ce que je dois faire Jef ?". Les yeux dans les yeux, il lui passe la main dans les cheveux, puis l'attire à lui et dépose un léger baiser sur sa joue. L'étreinte ne durera que quelques secondes, puis Jef s'en ira. Pour toujours.

Dans Un flic, c'est tout le contraire. Les rencontres entre Coleman et Cathy dureront une éternité. Comme si le temps se distendait. La scène du piano au Simon's en est un bel exemple avec deux longues minutes d'un face à face musical et sentimental. Plus tard, lorsque le commissaire rencontre Cathy dans le secret d'une chambre d'hôtel, ce sera dans une espèce de simulacre d'arrestation, puis de séduction, où Cathy s'essaierait au rôle de vampe. Tout cela semble un brin naïf et sonne un peu faux … jusqu'à ce qu'arrive la dernière scène dans laquelle le commissaire tue Simon sous les yeux de sa maîtresse. À ce moment-là, la réalité reprend le dessus. Brutalement. La réalité de deux mondes qui s'affrontent, chacun d'un côté de la loi. Cruellement.
Comme si les héros melvilliens étaient condamnés à vivre seuls, séparés des femmes, éternellement. Comme si l'amour, le vrai, ne leur était pas autorisé.

Trois femmes, trois maîtresses, pour trois héros solitaires.


[1] Jean-Pierre Melville sur le tournage du Cercle rouge en mars 1970.