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27 mars 2017

Fragments #1

Fragments #1, des mots, 2017 – Triptyque vidéo sonore 1'02" © Yannick Vallet (d'après Jean-Pierre Melville)

Pourquoi Jean-Pierre Grumbach a-t-il pris le nom de Jean-Pierre Melville ?
« Par pure admiration et par désir d'identification à un auteur, à un créateur qui me touchait plus que n'importe quel autre. Trois écrivains américains ont marqué mon adolescence : Poe, London et puis Melville. Quand on est adolescent, on ne sait pas exactement quelle sera sa propre mythologie en tant qu'adulte. Aujourd'hui, Melville et London sont ex-aequo, pour moi. »[1]
Rien d'étonnant donc à ce que le réalisateur, féru de littérature, ait apposé une épigraphe en tête de pratiquement tous ses films. Marque que l'on retrouve immanquablement dans Le samourai, Le cercle rouge et Un flic. [2]
L'épigraphe, une manière comme une autre de signifier au spectateur que l'histoire commence, là, tout de suite, maintenant. Et qu'on va l'emmener pendant deux heures dans un autre lieu, un autre temps, un autre monde. Une tradition héritée du temps du muet où, à l'époque, les cartons servaient à guider le public au cœur de l'histoire. Et peu importe que les références fassent le grand écart entre le Japon des samouraïs, l'Inde bouddhiste ou la France du XIXè siècle, car le but est bien de dépayser les esprits. Melville, à l'évidence, veut mettre le spectateur dans le même état émotionnel que dans celui où il se trouve lui-même lorsque la lumière s'éteind et que l'écran s'anime.
« Dans la vie, il ne pleurait jamais, mais dans les salles de cinéma, très souvent : il pleurait de voir la beauté d'un film, pas du tout parce que c'était triste. » [3]

On peut noter également une certaine propension de Jean-Pierre Melville à glisser inexorablement vers un ascétisme assumé : en 1967, pour Le samourai, l'épigraphe vient se superposer à un plan sonore avec le personnage principal du film ; trois ans plus tard, exit le son et le personnage, ne reste plus qu'un texte sur fond noir défilant près d'une statuette de bouddha ; et pour son dernier film, ni son, ni image, rien, juste un texte fixe sur fond uni, un carton ultra-basique. Comme un retour rigoureux aux origines du cinéma.


[1] Le cinéma selon Jean-Pierre Melville, Rui Nogueira (Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma)
[2] A noter que dans le cas du Samourai, et même si le Bushido existe effectivement, la citation, elle, est totalement apocryphe. Inventée par Melville lui-même !
[3] D'après Florence Welsch, l'épouse de Jean-Pierre Melville interviewée en 1995 par Denitza Bantcheva (Jean-Pierre Melville de l'oeuvre à l'homme)