Film : Le cercle rouge
Il y a les moments où Corey fume de façon presque banale, comme n'importe quel fumeur - après un repas, pour patienter, pour se calmer … [1] - mais il y a également, et surtout, les moments où Jean-Pierre Melville décide de le faire fumer parce que le geste, l'acte, revêt une signification toute particulière. Et dans Le cercle rouge, ces instants précis sont au nombre de deux.
Le tout premier prend place lors de la scène en plein champ, juste après le barrage sur la N6. Corey, debout face à Vogel qui vient de s'extraire du coffre de la Plymouth, va avoir un geste hautement symbolique.
Extrait du scénario de Jean-Pierre Melville :
Corey sort de sa poche son paquet de cigarettes et l'envoie en direction de Vogel qui l'attrape au vol. Puis Corey lui jette son briquet.
Une main occupée par le paquet de cigarettes, l'autre par le revolver, Vogel n'a pas pu rattraper le briquet qui tombe par terre. Un instant, Vogel va hésiter, puis il prend sa décision. Il met le revolver dans sa poche, se baisse, ramasse le briquet.
Corey regarde Vogel.
Vogel allume une cigarette, envoie le briquet à Corey et lui adresse une sorte de petit sourire timide et ému.
Corey lui répond par le même sourire, exactement.
Le pacte vient d'être scellé.
Ce moment "entre hommes" n'existe que parce que la cigarette, symbole de virilité, relie les deux personnages de manière extrêmement forte. Inutile de se parler, seuls les regards suffisent. La parole - d'honneur - vient d'être donnée sans avoir été prononcée et la cigarette, comme l'écrit Melville, a permis de sceller un pacte entre les deux hommes, à tout jamais.
Une autre séquence, à la fin du film celle-ci, joue exactement sur les mêmes codes mais de manière totalement inversée. Il s'agit de la dernière scène au Santi's, lorsque Corey attend le nouveau fourgue qui lui a été conseillé. Alors qu'il cherche du feu dans la poche de son imperméable pour allumer sa Gitane, une main entre dans le champ avec un briquet. Corey se penche, acceptant la flamme que lui tend le nouveau venu. Une négociation s'ouvre mais ce que Corey ne sait pas c'est que le fourgue en question n'est autre que le commissaire Matteï venu lui tendre un piège. La cigarette, au début du film source de connivence entre hommes, devient ici symbole de trahison. Mais Corey ne peut rien soupçonner et seul le spectateur connaît les véritables enjeux.
Ce qui est assez drôle d'ailleurs c'est que juste avant, Melville a placé un avertissement à l'adresse exclusive du personnage en la personne de la jeune hôtesse venue lui tendre une rose rouge. Problème : ici, la rose rouge n'est pas, comme Corey semble le croire, le symbole d'un amour quelconque mais bien plutôt le présage d'une mort imminente et du sang versé... [2]
Ou quand Melville se joue merveilleusement des symboles …
Ou quand Melville se joue merveilleusement des symboles …
[1] En sortant du billard après avoir réglé leurs comptes aux gorilles de Rico. Après son repas au Relairoute. En attendant son tour au barrage de police, près de Chalon-sur-Saône. Après son petit déjeuner, dans son appartement de l'avenue Paul Doumer, alors qu'il est en train de s'habiller.
[2] La même rose rouge dont Vogel se saisira dans la séquence suivante alors que Corey vient de le quitter pour aller voir le fourgue, justement. Comme un indice de la mort qui rôde…