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26 juin 2017

Véhicule #5

Dodge Dart 270, Modèle réduit 1/43e, peinture carrosserie, 2017 - Photo © Yannick Vallet

Film : Un flic

« Chaque après-midi à la même heure, je commençais mon périple par la descente des Champs-Élysées … »
C'est lors de cette séquence, trois minutes après le début du film, que l'on découvre Edouard Coleman dans sa voiture de fonction, une Dodge Dart 270 de 1963. Plutôt étrange cette petite américaine pour la police française. Mais pas de doute possible, le téléphone connecté au central qui y est installé prouve bien qu'elle n'est pas un véhicule comme les autres.
La voiture d'Edouard (comme il est indiqué dans le scénario) sera de toutes ses sorties. Quand il fait ses rondes dans Paris, bien entendu, mais également lorsque, tard dans la nuit, il a rendez-vous avec son indic rue de Provence, à l'arrière des Grands Magasins. Lorsque, dans la journée, il se rend à l'Eole-Hôtel rue Joubert [1] pour retrouver Cathy, sa maîtresse, ou qu'il doit aller à Bordeaux pour s'assurer de la livraison faite à Mathieu la valise. Et puis, et surtout, ce sera le dernier refuge dans lequel il montera, à la fin du film, lorsque après avoir abattu Simon en pleine rue, il lancera un dernier regard en forme d'adieu à Cathy. Une Cathy qui semble un peu perdue, là, au milieu de l'avenue Carnot déserte, adossée à sa petite voiture anglaise, indifférente au vent glacé dans son luxueux manteau de fourrure.
La Dodge Dart de Coleman est comme une sorte d'antichambre de son bureau. Elle est la continuité naturelle de son antre. Le lieu où il se sent en sécurité, tout puissant dans son personnage de commissaire totalement intègre. Et lorsque les mâchoires serrées, il descend à nouveau les Champs-Élysées après avoir accompli son devoir de flic, l'habitacle de sa voiture sera comme un cocon intime où rien ne pourra le déranger, ni le chewing-gum que lui tend son adjoint dans un geste de compassion (formidable Paul Crauchet), ni même l'appel insistant provenant du central de la police.
Coleman, seul dans son mutisme, droit dans ses bottes, fixant la route, scrutant l'avenir … Ou comment Melville, seul face à lui-même, réussit à transmettre à travers son personnage ses sentiments les plus intimes [2].



[1] page 64 du scénario mais cela ne semble pas correspondre à ce qu'on voit à l'écran. D’autant que le nom de l’hôtel dans le film est Arc Elysées.

[2] On sait par Florence Welsch que Melville était conscient de l'heure de sa mort : « Son arrière grand-père, son grand-père et son père sont morts du cœur à cinquante-cinq ans. Il était persuadé qu'il allait mourir au même âge. » Et effectivement, il est mort à 55 ans, 9 mois après la sortie d'Un flic. (interviewée par Denitza Bantcheva en 1995 (in Jean-Pierre Melville de l'œuvre à l'homme)